II
Tout est peur…
Ces mots, Renisenb les avait prononcés, au cours de la conversation auprès de la piscine, sans y prendre garde. Maintenant, seulement, elle s’avisait qu’ils exprimaient une vérité profonde.
Elle allait rejoindre Kait et les enfants près du pavillon, mais, inconsciemment, elle ralentit et s’arrêta. Elle sentit qu’elle redoutait de se trouver en face de Kait et d’être obligée de lui parler. Elle vit Henet apparaître sous le porche, puis rentrer dans la maison. Elle eut, plus forte que jamais, la certitude de la détester. Puis elle aperçut Ipy qui s’approchait, la tête haute, souriant. Il restait l’enfant gâté, le gamin malfaisant qu’il était déjà dans son jeune âge.
— Eh bien ! Renisenb, que se passe-t-il, pourquoi me regardes-tu ainsi ?
— Moi ?
Ipy éclata de rire.
— Oui, toi ! Tu as l’air aussi stupide qu’Henet.
— Henet n’est pas stupide, Ipy. Elle est très forte.
— Elle est pleine de malice, ça, je le sais ! Exactement, c’est le poison de la maison. Je me débarrasserai d’elle.
Renisenb ouvrit la bouche pour parler, mais ce fut seulement à la seconde tentative qu’elle parvint à se faire entendre.
— Te débarrasser d’elle ?
— Mais, enfin, ma chère sœur, qu’est-ce que tu as ? Est-ce que, toi aussi, tu verrais circuler dans le voisinage des esprits analogues à celui que prétendait avoir vu ce petit pâtre stupide ?
— Tout le monde te paraît stupide, à ce que je vois.
— Ce gosse l’était certainement ! Je reconnais, si ça peut te faire plaisir, que la stupidité commence à m’être insupportable. Il y en a trop ! Crois-tu que c’était drôle pour moi d’être commandé par deux aînés qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez ? Maintenant que la voie est libre, que je n’ai plus affaire qu’à mon père, tu vas voir la différence ! Mon père fera ce que je veux, moi !
Il était plus arrogant que jamais. On le sentait sûr de lui, plein de vie et d’ardeur.
— Est-ce que tu n’oublies pas que Yahmose vit toujours ? demanda Renisenb d’un ton sec.
Ipy laissa tomber sur elle uni regard chargé de dédain.
— Tu te figures qu’il se remettra ?
— Pourquoi pas ?
Ipy ricana.
— Pourquoi pas ? Disons simplement, veux-tu, que je ne suis pas de ton avis. Yahmose est fini, balayé. Il traînera peut-être un petit bout de temps, il ira s’asseoir et geindre au soleil, Mais, en tant qu’homme, il n’existe plus. Il a survécu au poison, il s’est rétabli, mais tu as pu le constater toi-même, son état maintenant reste stationnaire.
— Mais, pourquoi ? Le médecin assurait que, dans quelque temps, il serait aussi fort qu’autrefois.
Ipy haussa les épaules.
— Les médecins ne savent pas tout. Ils prennent des airs graves et ils emploient de grands mots, c’est tout ce qu’on peut dire ! Blâme Nofret si tu veux, mais dis-toi bien que Yahmose, ton très cher frère Yahmose, est condamné !
— Et tu n’as pas peur pour toi ?
— Moi, peur ?
Ipy, son beau visage rejeté en arrière, riait à pleine gorge.
— On ne peut pas me faire du mal à moins que je n’y consente, répliqua le jeune homme. Je ne suis pas bien vieux, Renisenb, mais je suis de ces gens qui sont nés pour triompher… et c’est pourquoi tu ferais bien de te mettre de mon côté. Tu m’entends ? Tu me traites souvent de gamin irresponsable. Ce temps-là est fini et, à mesure que les mois passeront, tu pourras constater que les choses ne seront plus tout à fait ce qu’elles étaient auparavant. Dans quelque temps, il n’y aura plus ici d’autre volonté que la mienne. Je ne dis pas que ce ne sera pas Imhotep qui donnera les ordres, mais le cerveau qui les aura conçus, ne sera pas le sien, mais le mien.
Il se remit en route, s’arrêtant après quelques pas pour ajouter, se retournant à demi :
— Conclusion, Renisenb : veille à ce que je n’aie pas à me plaindre de toi.
Renisenb, stupéfaite, le regarda s’éloigner. Elle entendit marcher derrière elle. Kait arrivait auprès d’elle.
— Qu’est-ce qu’Ipy te racontait ?
— Il me disait, répondit Renisenb d’une voix lointaine, qu’il serait bientôt ici le seul maître.
— Vraiment ? fit Kait ! Ce n’est pas mon opinion !